Vous vous êtes peut-être déjà trouvé face à un objet ou une photo de militaires qui présentait un nom.
Vous avez voulu en savoir plus sur la carrière d'un officier, que ce soit un aïeul ou un illustre inconnu.
Vous avez voulu retracer la carrière d'un officier pour en rédiger sa biographie.
Mais vous vous êtes souvent résigné, ne trouvant pas le temps ou la motivation suffisante pour aller consulter son dossier au Service Historique de la Défense (qui reste toutefois la source la plus complète et fiable qui soit).
Alors voici quelques pistes pour retracer la carrière d'un officier, chez soi, à son rythme, grace à des ressources disponibles en ligne.
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Retracer la carrière d'un officier - Cas concret.
Afin de l'illustrer ce "mode d'emploi", rien de tel que de partir d'un cas concret.
Voici ce portrait de grande dimension 38cm x 51cm.
Faisons déjà "parler" son uniforme.
Il s'agit d'une tenue de jour ou tenue n°3.
La tenue de jour est une tenue intérmédiaire, décrite au BO du 11 janvier 1933 et réutilisant les effets de la tenue de travail "la tenue de jour permet(tant) aux officiers dont les occupations sont particulièrement chargées, d'assister à une cérémonie pendant une interruption du travail quotidien et sans être obligés de revêtir la tenue de ville".
Pour en savoir plus sur les différentes tenues de l'officier.
La tenue de jour est aussi caractéristique des officiers de réserve dont l'activité ne justifie pas de (et le réglement n'y oblige pas) faire l'acquisition d'une grande tenue (tenue n°1) ou une tenue de ville (tenue n°2).
Le képi est du modèle 1935 dont l'usage perdurera après guerre.
Grenades brodées, galons de képi et boutons lisses argentés sont caractéristiques des uniformes de cavalerie et les soutaches blanches des pattes de col bleu foncé, typiques des dragons.
Les pattes de col, de forme pentagonale à côtés supérieurs en "pointe circonflexe" sont conformes à la description du 13 février 1939.
Les pattes de poche de poitrine sont encore "à accolade", théoriquement disparues depuis cette description du 13 février 1939, mais dans les faits, souvent conservées, selon les goûts de l'officier.
Les décorations. Témoins de la carrière d'un officier et marqueurs chronologiques.
De gauche à droite et de haut en bas, on peut reconnaître:
- le ruban avec rosette d'Officier de la Légion d'Honneur.
- la Croix de Guerre 1914-1918.
- la Croix du Combattant (1930).
- la Médaille Intéralliée ou médaille de la Victoire (1922).
- la Médaille Commémorative de 14-18 (1920)
- la Médaille Commémorative d'Orient (1926).
- la Médaille Serbe Commémorative de la Guerre pour la Libération et l'Unité (1920).
- la Médaille d’honneur de l’Education physique et des Sports (1929).
- la Croix des services militaires volontaires. Créée par un décrit du 13 mai 1934 pour récompenser les réservistes pour leur volontariat lors des périodes d'instructions des réserves.
- l'Ordre du Mérite Agricole.
- pourrait correspondre à l'Ordre du Dragon d'Annam (officier) remis par l'empereur d'Annam.
Ce qui confirme que cet officier est officier de réserve.
Voici un support utile pour reconnaître les médailles, ordres et décorations militaires.
La signature.
Bien qu'elle ne soit pas évidente à déchiffrer, on peut lire:
"A Monsieur Sitri,
en toute sympathie,
J. FENTES 39"
Avec un doute sur le 3 de la date, on peut tout aussi bien lire 59.
A noter que SITRI était initialement écrit CITRI. Un ajout au crayon à papier a été effectué par la suite.
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Première étape: obtenir la date et le lieu de naissance de cet officier.
Un des outils utilisé avec succès ici, est la base Léonore.
Elle donne accès aux dossiers nominatifs des personnes nommées ou promues dans l'Ordre de la Légion d'honneur depuis 1802 et décédées avant 1977. Pour chaque personne dont le dossier a été conservé, une notice indique la cote du carton où se trouve le dossier, le lieu de conservation de ce carton et des éléments biographiques sommaires (nom, prénom, sexe, date et lieu de naissance).
Attention, la base recense les dossiers et non pas les titulaires de la Légion d'honneur. Il se peut que certains titulaires ne disposent pas (ou plus) de dossier. En conséquence, leur nom n'apparaît pas dans la base Léonore.
Les dossiers comportant des documents datant de moins de 50 ans ne sont pas consultables en ligne.
C'est surement le cas du Chef d'Escadrons Sitry. Nous n'accèderons pas à son dossier Léonore mais nous obtiendrons le précieux sésame: Date et lieu de naissance.
Ainsi qu'un autre élément, d'importance non négligeable: ses prénoms.
Edouard David Sitry est né le 18 octobre 1882 à Marseille.
Il est important, à cette étape de vérifier qu'il s'agisse bien de la bonne personne car on a vite fait, dans l'excitation de la recherche, par erreur ou parfois par dépit, de s'orienter malencontreusement vers un homonyme.
Un des moyens (on en verra d'autres), est de vérifier dans des annuaires militaires d'époque.
Notre homme n'étant pas Saint-Cyrien, pas officier d'active, pas officier d'infanterie, on ne le trouve dans aucun de ces annuaires.
Mais on trouve bien son nom dans:
- l'annuaire national des officiers de réserve 1931-1932:
SITRI (E.D.), Cap. Cav., 9. rue des Filles-Saint-Thomas, Paris 2e
- l'annuaire officiel de la Légion d'Honneur de 1929, parmi les Officiers de la Légion d'Honneur:
Sitri (Edouard-David), 30 janvier 1925 (NDLR: date de la nomination au grade d'Officier), administrateur de l'Union des Sociétés d'Education physique et de Préparation au Service militaire, 21, boulevard Flandrin, Paris (16e)
L'autre méthode, quand on n'a pas accès à des annuaires, est de faire appel à Gallica - Bibliothèque Nationale de France.
Dans ce cas, l'idée est de rechercher toutes les déclinaisons autour de son nom/prénom/grade.
On retrouve ainsi:
Son adhésion en 1914 à la revue "L'Astronomie" et son addresse 38 rue de Châteaudun à Paris.
Son nom (écrit Sitry avec un Y) dans l'historique 7e régiment de hussards.
Sa nomination, au Journal Officiel, au grade de Capitaine en 1928, alors qu'il est Lieutenant au Centre de Mobilisation de la Cavalerie n°30.
La Petite Gironde du 4 juillet 1916, indiquant son grade et son affectation au 7ème régiment de hussards comme sous-lieutenant de réserve, ainsi que son détachement dans l'armée d'Orient.
La Lanterne. Sa nomination au grade d'Officier de la Légion d'Honneur en 1925 alors qu'il est administrateur de l'union des sociétés d'éducation physique et de préparation au service militaire.
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Seconde étape pour retracer la carrière d'un officier: les registres matricules.
Armé de la date et le lieu de naissance, il s'agit d'accéder aux Archives Départementales du département de naissance, en l'occurence celles des Bouches du Rhône.
Consulter les archives numérisées / recensement militaire.
Edouard Sitri étant né en 1882, il appartenait théoriquement à la classe 1902.
Le fait qu'il soit né en octobre explique sans doute qu'on le trouve dans la classe 1903 sous le matricule 1058bis.
Théoriquement, le recensement se fait dans la région de naissance de l'individu.
Un problème que l'on retrouve fréquemment dans le cadre de recherches concernant des militaires, eux-mêmes enfants de militaires, c'est qu'ils sont bien souvent recensés, non pas dans la circonscription de leur lieu de naissance, mais dans la région d'affectation de leur père au moment de leur recensement.
Dans ce cas, il n'y a pas d'autre alternative que de retracer d'abord la carrière militaire du père, pour déterminer la ville d'affectation du père et en déduire la circonscription de recensement du fils!
Ce n'est pas le cas ici.
On accède ensuite à sa fiche matricule qui révèle toute une série d'informations précieuses telles que: état civil, description physique, degré d'instruction, affectations, décorations, nominations etc...
Edouard David Sitri est né le 18 octobre 1882 à Marseille.
Matricule 1058bis
Fils d'étrangers
- Incorporé au 9e Régiment de Hussards en 1904
- Brigadier le 12 avril 1905
- Maréchal des Logis le 20 mars 1906
Envoyé en disponibilité le 18 septembre 1906 avec Certificat de bonne conduite accordé
Passé dans la réserve - Promu au grade de Sous-Lieutenant de réserve (service central de remonte) pour être détaché au régiment d'infanterie d'Auxerre.
- Rappelé à l'activité le 1er août 1914 au 204e Régiment d'Infanterie (Sous-lieutenant de réserve).
Citation n°261 du 6 septembre 1914 au 204e RI, comme Sous-Lieutenant Adjoint au Commandant du 6ème Bataillon.
"D'un courage calme et raisonné, s'est toujours dépensé sans compter pour assurer ses fonctions d'adjoint à un chef de Bataillon, notamment à Barcy le 6/09/14 où sous un feu d'artillerie et d'infanterie des plus violents il n'a pas hésité à venir à cheval jusque sur la ligne de feu porter des ordres à son Chef de Bataillon."
- Passé au 7e Régiment de Hussards par Décision Ministérielle du 19 mai 1915.
- Nommé Lieutenant à titre définitif pour prendre rang du 2 avril 1916.
Aéronautique Armée d'Orient Citation n°4 du 11/06/1916:
"Excellent officier intelligent actif payant de sa personne avec un personnel plus nombreux a retiré en entier des marais du Vardar le Zeppelin abattu le 5 mai. Par sa gaieté et son entrain a maintenu ses hommes pendant 15 jours dans des conditions d'hygiène très précaires pour remplir la mission qui lui avait été assignée. S'est dépensé jusqu'au surmenage."
L'histoire de ce Zeppelin, le LZ85 (soit le 55ème assemblé par Zeppelin) est connu.
Parti de Temesvar (l'actuel Timișoara en Roumanie) pour bombarder Salonique, le dirigeable est endommagé par la DCA de Salonique et le HMS Agamemnon dans la nuit du 5 au 6 mai 1916.
Il s'abime dans la vallée et les marécages de la Vardar et l'équipage, indemne, s'empresse d'y mettre le feu avant d'être fait prisonnier.
Méticuleusement démonté, sa carcasse sera transportée et remontée (sauf les queslques pièces qui serviront de "souvenirs") sur le port de Salonique, près de la tour blanche ce qui lui vaudra de faire la une de nombreux journaux et même la production "objets dérivés".
- Détaché à l'Ecole Militaire d'aviation de Chartres le 20 juin 1917.
Citation n°196 du 12/01/1919
"A pris le commandement du 3e Escadron dans des circonstances difficiles du 23/7 au 28/08/1918 au moment de l'offensive de la Somme a assuré lui-même de nombreuses reconnaissances d'officiers notamment. Les 6 et 7 septembre au cours desquels il a apporté de précieux renseignements qu'il était allé chercher en avant des patrouilles d'infanterie malgré le feu des mitrailleuses ennemies."
Légion d'Honneur à titre exceptionnel JO du 13/07/19 Lieutenant de cavalerie au 2ème groupe d'Aviation
"Brillante conduite tant au front Français qu'en Orient, où il est parti comme volontaire. A préparé d'une façon remarquable l'organisation de l'Aviation de l'Armée d'Orient."
- Envoyé en congés illimité de démobilisation le 11/03/1919
- Appelé au 13e Régiment de Dragons comme Lieutenant de réserve par Décision du 7 septembre 1921
Maintenu dans les réserves par Décision en date du 1/08/1922
A accompli une période d'exercice au 13e Dragons du 17 août 1927 au 3 septembre 1927.
Passé au centre mobilisateur de cavalerie le 1er mars 1928.
Maintenu dans les cadres sur sa demande sur Décision Ministérielle du 22 avril 1931.
A accompli une période d'exercice de 25 jours du 2 au 26 juin 1932 au 29e Dragons.
A accompli une période volontaire et sans solde de 14 jours du 7 au 20 septembre 1933 au 13e Dragons.
A suivi un stage au Centre d'études de cavalerie du 11 avril au 4 mai 1935. - Promu au grade de Chef d'Escadron (Réserve) par décret du 16 décembre 1937 pour prendre rang au 25 décembre 1937.
A suivi un stage des membres des commissions de réquisitions automobiles organisée les 18 et 19 mai 1939 au 19e Escadron du Train. - Rappelé à l'activité au Dépôt de Cavalerie 41.
Arrivé au Corps le 4 septembre 1939.
Désigné par note n°466 au Groupe des Dépôts de Cavalerie de la Région de Paris en date du 15/10/1939 pour prendre le Commandement des Trains Régimentaires de la 71e Division d'Infanterie.
Décorations:
Chevallier de la Légion d'Honneur
Croix de Guerre
Officier de la Légion d'Honneur le 31 janvier 1925
Voila toutes les informations que nous apportent la fiche matricule.
On peut, en sus, trouver des informations le concernant dans le Journal de Marche du 7ème Régiment de Hussards sur mémoiredeshommes, à l'occasion de son détachement dans l'aviation le 11 octobre 1918.
On trouve aussi sur internet des éléments concernant sa vie civile puisqu'il était gérant de la banque Sitri, Bloch & Cie.
Concernant sa participation aux combats de mai juin 1940, les informations disponibles ne sont malheureusement pas nombreuses.
On peut savoir que, commandant le Train Régimentaire de la 71e Division d'Infanterie il se trouve sous les ordres du Général Baudet.
La 71e DI appartient à la 2ème Armée, sous les ordres du Général Huntziger et occupe le Secteur Fortifié de Montmedy.
Qu'advient-il de lui par la suite?
Prisonnier de guerre dans un Oflag?
Déporté?
Un témoin nous apporte une partie de réponse.
Ce tableau nous est parvenu accompagné du képi du Chef d'Escadrons Sitri.
Plusieurs éléments sur ce képi.
Doublure intérieure et jonc de visière en matière synthétique, sont typiques des productions de la fin des années 40 / années 50, ce qui nous laisse penser qu'Edouard Sitri a survécu à la seconde guerre mondiale et à la Shoah.
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